Il y a trop d’images de Bernard Émond
(121 pages)
Cette petite plaquette rassemble des textes écrits par Bernard Émond entre 1993 et 2010. Le cinéaste y propose sa vision du monde et des arts. Une vision dénuée du superflu, au cœur de l’essentiel. À plusieurs égards, cette vision rejoint la mienne.
L’art de divertir
Bernard Émond introduit une, ô combien précieuse, différence entre l’art et le divertissement. «Divertere, se séparer de. Ne pas accepter la responsabilité. Ne pas accepter de voir. Ne pas accepter d’être au monde. Fermer les yeux. Ne plus être. Avec mes films, je veux faire le contraire. Je veux être présent au monde, à sa beauté, à sa douleur. Et je veux partager avec les spectateurs cette idée très simple : il faut être attentif.» (Page 36) Je reviendrai très bientôt sur ce sujet qui me passionne.
Su au relativisme
S’il est une chose à laquelle je me consacre, c’est bien la lutte à ce relativisme absolu selon lequel toutes les opinions doivent être respectées. Bernard Émond me fait le cadeau de fourbir ses armes contre ce fléau. «Pour obtenir un succès politique ou médiatique, il n’y aurait plus qu’à gouverner par sondages ou à établir une programmation ou un choix de nouvelles en fonction des cotes d’écoute ou des tirages.» (Page 82) Émond souligne cette fâcheuse propension qu’ont présentement nos médias à interpeller les commentaires de leur public. Il ne remet pas en question aux gens le droit de s’exprimer. Il se questionne plutôt quant à la pertinence de publier de tels propos. «Ce à quoi nous assistons, c’est à la juxtaposition d’opinions individuelles, le plus souvent mal informées et mal formulées, chacune valant n’importe quelle autre, c’est-à-dire, au bout du compte, ne valant rien. Mais dans la démocratie de marché, tout est affaire de choix individuel et on ne voit pas, dans cette logique, pourquoi une opinion aurait plus de poids que n’importe quelle autre.» (Page 90)
La foi d’un mécréant
J’apprécie la réflexion de Bernard Émond en ce qui concerne l’héritage catholique dans lequel nous avons grandi. Mes enfants, qui ne sont pas baptisés, ont cheminé dans un parcours scolaire où on offrait des cours d’éducation religieuse. Je n’ai pas souhaité les mettre à l’écart. D’abord parce qu’ils auraient été bien seuls dans mon petit village où l’église est encore au cœur du village et de la vie de bien des familles. Il y a aussi que les valeurs et les principes qui étaient mis de l’avant dans cet enseignement rejoignaient les miens. Émond cite Péguy.
«La foi que j’aime le mieux, dit Dieu, c’est l’espérance. La foi, ça ne m’étonne pas. (…) J’éclate tellement dans ma création. Que pour ne pas me voir il faudrait vraiment que ces pauvres gens fussent aveugles. La charité, dit Dieu, ça ne m’étonne pas. (…) Ces pauvres créatures sont si malheureuses qu’à moins d’avoir un cœur de pierre, comment n’auraient-elles point de charité les unes des autres. (…) Mais l’espérance, dit Dieu, voilà ce qui m’étonne. Moi-même.»
Émond parle d’une visite qu’il a faite à la basilique Saint-Pierre à Rome. Après l’abondance et la richesse de la chapelle Sixtine, il tombe sur quatre petits tableaux de Giorgio Morandi (1890-1964), deux paysages et deux natures mortes. Émond écrit :
«Ce sont des tableaux comme Morandi en a peint toute sa vie : il y a, posés sur une table, un vase, une bouteille, des pots, quelques tasses. Les tableaux se déclinent dans un camaïeu de beiges et de gris. Il n’y a pas d’arrière-plan, que ces modestes objets éclairés par une lumière pâle. Ce n’est presque rien. Pourtant, nous sommes ici devant une sorte de miracle : Morandi prend acte du fait qu’il y a quelque chose plutôt que rien et il s’en émerveille. Il est tout entier dans cet acte de regarder, cette attention au monde, cette nécessaire humilité devant ce qui nous dépasse. Il y a quelque chose, et nous sommes là pour le voir : quel insondable mystère! Le presque rien des tableaux de Morandi nous ramène au mystère du monde, et je me tiens devant eux comme sous la splendeur d’un ciel étoilé du mois d’août.
Quel paradoxe! Après toutes la magnificence de la basilique et de la chapelle Sixtine, ce sont quatre tableaux modestes d’un peintre humble et reclus qui me donnent le plus le sentiment d’une Présence.» (Page 93)
Quel paradoxe! Après toutes la magnificence de la basilique et de la chapelle Sixtine, ce sont quatre tableaux modestes d’un peintre humble et reclus qui me donnent le plus le sentiment d’une Présence.» (Page 93)
«Pourquoi y a-t-t-il de l’être plutôt que rien?» se demandait Parménide (-540 à 450) Je suis moi aussi subjuguée par cette question. Je ne souhaite pas en réduire la complexité en la contraignant dans une représentation humaine du divin. Je reconnais la limite du savoir humain. Et cette reconnaissance est ma prière silencieuse face au mystère de cette vie qui anime le cosmos. Par comparaison, les incantations que j’ai entendues tout au long de mon enfance me paraissent dénuées de ce sacré. Rien ne me semble moins religieux que cette propension des croyants à marchander leur foi. En échange de la vie éternelle, de la guérison d’un être cher, de la rémission de leurs péchés ou d’un coup de fortune.
Merci
J’aimerais en terminant, remercier Bernard Émond de stimuler ma curiosité, mon goût d’en savoir plus à propos des frères Dardennes, de Giorgio Morandi, de Péguy et d’une foule d’autres auteurs et artistes dont je connais peu de choses.
(6 mai 2011)